Dans cet article, Ben Rogowski, vice-président et chef de l’exploitation chez Canderel, partage sa perspective sur la façon dont les conditions économiques, les habitudes des consommateurs en évolution et les politiques de soutien redéfinissent la demande en logement — et sur la manière dont l’industrie peut s’adapter pour bâtir des communautés résilientes et prêtes pour l’avenir.
Le marché immobilier canadien a connu une série de transformations au cours des dernières années. En pleine crise d’abordabilité et d’offre, avec l’évolution des préférences démographiques et un nouvel accent mis sur la fonctionnalité et le style de vie, le paysage des promoteurs et des acheteurs évolue en temps réel. Alors que les manchettes mettent souvent l’accent sur les ralentissements du marché ou les enjeux d’abordabilité, une vision plus large révèle une industrie qui s’adapte à des changements à long terme dans la façon dont les gens vivent, travaillent et investissent.
Fort de plus de deux décennies de leadership en développement et en investissement immobilier, Ben Rogowski, président et chef des investissements chez Canderel, offre un regard éclairé sur les forces qui façonnent ce marché en pleine évolution—proposant une perspective à la fois sur les perturbations à court terme et sur les transformations structurelles qui redéfinissent l’avenir du logement.
Un marché qui continue de mûrir
«J’ai grandi dans une famille de l’immobilier, » raconte Ben. « Mon père et mon oncle étaient tous deux des entrepreneurs dans le domaine. J’avais toujours prévu d’apprendre le côté financier et de me joindre à l’entreprise de mon père, mais j’ai finalement atterri chez Canderel — et ça fait maintenant plus de 22 ans.»
Ce virage inattendu, passant des chiffres au développement, a donné à Ben une place de premier rang pour observer l’évolution du marché, allant d’une croissance soutenue aux vents contraires soudains du climat économique actuel.
Crise d’abordabilité et d’offre
Pendant plus d’une décennie, le marché immobilier canadien a profité d’une ère de faibles coûts d’emprunt et d’une demande soutenue. Toutefois, le cycle de hausses de taux d’intérêt — mis en place pour contrer les pressions inflationnistes — a modifié le calcul des investissements, particulièrement dans le segment des copropriétés. Alors que les acheteurs haut de gamme et les premiers acheteurs sensibles aux prix demeurent actifs aux deux extrémités du spectre, le marché intermédiaire — dominé par les investisseurs — a ralenti de façon significative.
Ben estime que ce segment intermédiaire — généralement alimenté par les investisseurs — a été le plus durement touché. « Si le luxe représente 10 % et le bas de gamme un autre 10 %, alors le milieu représente 80 %, et il est au point mort. Mais ça ne veut pas dire que c’est permanent. »
Malgré ce ralentissement, il demeure optimiste. « Nous continuons de voir une forte immigration. Nous n’avons pas connu l’exode des centres-villes que certains prédisaient. Le retour des travailleurs au bureau s’améliore, et comme peu de nouveaux projets sont construits, nous atteindrons éventuellement un point où nous devrons bâtir de nouveau. La demande reviendra, et les investisseurs aussi. »
Concevoir pour les modes de vie modernes
Au-delà des considérations financières, une transformation fondamentale est en cours dans la façon dont les Canadiens définissent la notion de « chez-soi ». Alors que les défis liés à l’abordabilité persistent et que la densification urbaine s’accentue, l’habitation verticale est devenue la norme dans de nombreux centres métropolitains. En parallèle, les valeurs culturelles associées à la propriété et à la réussite évoluent. Les jeunes acheteurs accordent désormais une plus grande importance au mode de vie — en privilégiant la proximité des commodités, un design efficace et la flexibilité de consacrer davantage de ressources aux expériences de vie plutôt que de bloquer leur capital dans une propriété. Cette mentalité a contribué à un passage marqué de la propriété traditionnelle vers la location à long terme comme choix réfléchi et pratique.
« Quand je repense à mon enfance, mon père me disait : “Voici ton plan — tu vas travailler très fort, économiser tout ton argent, acheter une maison et probablement mesurer ton succès financier au nombre de voitures que tu possèdes.” Si je disais ça aujourd’hui à un de nos jeunes collègues, il rirait probablement de moi », se souvient Rogowski.
Ce changement culturel s’accompagne aussi de contraintes concrètes liées à l’offre. Dans de nombreux centres urbains, il n’y a pratiquement plus de terrains disponibles pour des projets de faible densité. « Dans un centre-ville, il n’y a qu’une seule façon de construire — c’est vers le haut », explique Rogowski. « Avec l’augmentation de la population, l’offre de maisons unifamiliales demeure limitée, et ce sont les immeubles multifamiliaux qui deviennent disponibles. » Ainsi, les condominiums et les immeubles locatifs construits expressément à cet effet ne sont plus qu’une étape de transition, mais bel et bien une solution d’habitation à long terme pour beaucoup.
Les condos et les logements locatifs ne sont plus perçus comme temporaires — ils représentent une solution durable. « Nous avons constaté au fil des années un passage continu de la propriété vers le modèle locatif », ajoute Rogowski. « Cela a définitivement changé les habitudes des gens. »
Au niveau des unités elles-mêmes, la fonctionnalité est devenue primordiale. « Il y a une dizaine d’années, on voyait des unités devenir très petites — trop petites. Puis la tendance a changé. Les gens veulent maintenant des espaces fonctionnels », souligne-t-il. « Chez Canderel, nous avons toujours conçu nos immeubles de l’intérieur vers l’extérieur. Si c’est un coin bureau, il doit être possible d’y installer un vrai bureau. Un espace où l’on ne peut mettre qu’un tabouret n’accomplit rien. »
Les promoteurs répondent donc à cette réalité en créant des espaces qui soutiennent l’ensemble des activités quotidiennes — du travail à la détente. « Si vous travaillez de la maison et que vous vivez dans un condo d’une chambre, ça ne veut pas nécessairement dire que vous voulez rester dans votre unité toutes ces heures », remarque Rogowski. « Si vous avez un endroit dans votre immeuble où vous pouvez travailler quelques heures, puis retourner dans votre salon, cette variation est importante. »
Repenser les commodités et la collectivité
Les commodités ont évolué, passant de simples « cases à cocher » à de véritables leviers de valeur. « Autrefois, la conception de nos immeubles était très simple : si l’immeuble était assez grand, on ajoutait une piscine. Sinon, on installait un gym et une salle de billard », explique Rogowski. « Aujourd’hui, il s’agit plutôt d’offrir des espaces de coworking, des endroits pour les animaux et des lieux où les gens peuvent se croiser et interagir positivement. »
Ce changement reflète un désir plus large de flexibilité et de collectivité. Les commodités ne se limitent plus à l’intérieur de l’immeuble — elles s’étendent à l’environnement qui l’entoure. La proximité de restaurants, d’épiceries, d’espaces verts ou de centres de conditionnement physique — souvent appelés « commodités de l’ombre » — peut rehausser l’attrait d’une propriété tout autant que des services sur place. « La commodité n’a pas besoin d’être dans l’immeuble; peut-être que l’immeuble voisin est une grande épicerie ou un centre commercial », souligne-t-il.
Transport, mobilité et croissance régionale
À mesure que les villes canadiennes se développent, l’importance des infrastructures — particulièrement le transport en commun — devient de plus en plus marquée. Dans des villes comme Toronto et Montréal, les retards dans l’expansion du réseau de transport ont créé de réels défis de mobilité. Cela entraîne une demande croissante pour des logements situés près des corridors de transport en commun et un besoin renouvelé de relier les pôles résidentiels aux zones d’emploi, de divertissement et de services.
Des options de transport inadéquates peuvent réduire l’attrait même des communautés les mieux conçues, ce qui renforce la nécessité d’une planification concertée entre les secteurs public et privé. Pour les promoteurs, cela signifie repérer les occasions dans les nouveaux pôles accessibles par le transport collectif et concevoir en tenant compte de la mobilité.
« Si l’on compare Toronto à d’autres grandes villes dans le monde, nous sommes terriblement en retard en matière de transport en commun — et ça a un impact direct sur les gens », souligne Rogowski. « Si je quitte le bureau à l’heure de pointe, il peut me falloir jusqu’à une heure pour rentrer à la maison. Je pourrais probablement marcher plus vite. »
Dans un pays où les centres urbains connaissent une croissance rapide, l’absence d’infrastructures de transport adéquates crée de véritables obstacles à l’adoption du logement et à la qualité de vie. « Beaucoup de nos villes, surtout Montréal et Toronto, sont en mode rattrapage. »
Politiques, prévisibilité et stabilité du marché
Bien que certaines mesures gouvernementales récentes — comme l’abolition de la TPS fédérale et de la TVP provinciale sur le logement locatif — aient apporté un certain répit, une plus grande clarté réglementaire demeure essentielle pour redonner de l’élan au développement résidentiel. La bonne nouvelle : des signaux positifs commencent à émerger. Tout porte à croire que de nouveaux programmes et incitatifs gouvernementaux visant à stimuler la construction résidentielle et à répondre aux défis liés à l’offre de logements sont en préparation.
« Nous croyons que d’autres mesures de soutien viendront sous forme de politiques ciblées et de programmes de financement qui aideront à accélérer le développement », explique Rogowski. « Combinées à une stabilité des taux d’intérêt et, espérons-le, à une résolution de la question des tarifs, ces mesures devraient contribuer à créer un environnement plus stable et prévisible pour les promoteurs et les investisseurs. »
Alors que les promoteurs et les acteurs de l’industrie naviguent dans un marché en évolution, une combinaison de politiques de soutien, d’un assouplissement financier et d’une clarté réglementaire pourrait fournir les conditions nécessaires pour relancer une nouvelle vague de croissance résidentielle.
Construire vers l’avenir
Malgré les défis actuels, rien n’indique que les fondamentaux qui sous-tendent la demande en logement au Canada aient changé de façon permanente. Les tendances liées à l’urbanisation demeurent fortes, l’immigration continue de stimuler la croissance démographique, et les changements culturels dans les préférences de vie suggèrent une demande soutenue pour des options multirésidentielles bien conçues et bien situées.
Malgré l’incertitude, la vision de Ben reste tournée vers l’avenir et s’appuie sur une perspective à long terme acquise par l’expérience. « Les marchés exagèrent toujours dans leurs réactions », affirme-t-il. « Nous avons surcorrigé avec les taux d’intérêt, et il est probable que nous fassions la même chose en sens inverse. Mais rien n’a fondamentalement changé qui puisse modifier de façon permanente la dynamique de notre marché immobilier. La demande sera là — il faudra simplement être prêts à y répondre. »
Entre-temps, l’industrie profite de cette période pour repenser le type de logements que les gens désirent, les quartiers qui les soutiennent et les infrastructures qui les rendent viables. De la conception et des commodités au transport et aux politiques, la conversation sur le logement au Canada s’élargit — et avec elle, le potentiel de bâtir des communautés meilleures, plus inclusives et plus résilientes.